Nous avons convié trois de nos expert∙e∙s EntreChefs PME, spécialistes des ressources humaines, à nous donner l’heure juste sur les difficultés de recruter dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Fanny Larocque de l’Agence Charlie, Stéphanie Côté Mongrain de SCM Propulsion et Steve Melançon de Happy Culture se sont exprimés face aux visiteur∙se∙s du salon Expo Entrepreneurs 2022. Voilà ce que l’on en retient :
Pour s’adapter au changement et vaincre la pénurie de main d’œuvre, on commence par quoi?
Fanny: On commence par le cœur, par les valeurs qui doivent être vécues par l’ensemble des personnes qui œuvrent dans l’entreprise. On doit y penser avant le recrutement car ces valeurs doivent se vivre au quotidien au sein de l’entreprise. Ce sont les clés qui mobilisent les employé∙e∙s. Par la suite, le recrutement peut même se faire de façon organique, via des références de vos employé∙e∙s.
Stéphanie: On commence par l’expérience des employé∙e∙s en place. Les entreprises mettent souvent l’emphase sur les actions marketing à l’externe, mais travailler la marque employeur à l’interne est capital, car c’est eux qui vont faire la réputation de l’entreprise. Il est nécessaire de s’assurer du bien-être de ses employé∙e∙s actuel∙le∙s. Une bonne expérience employé∙e∙s est aujourd’hui aussi importante qu’une bonne expérience client. Attention aussi à bien distinguer la satisfaction au travail qui est ponctuelle au bien-être au travail qui est un sentiment lié à la façon dont l’employé∙e se sent traité∙e au quotidien. Ce sont les réponses positives et satisfaisantes aux questions. « Pendant ma journée est-ce que j’ai du plaisir? Qu’est-ce je raconte à mes enfants et à mon conjoint à l’heure du souper? Qu’est-ce que j’ai réalisé aujourd’hui dont j’ai envie de parler? ». Le bien-être au travail c’est ce qui crée la motivation à venir travailler. C’est aussi ce qui va provoquer un bouche à oreille positif vers les futur∙e∙s employé∙e∙s.
Steve: Le processus se résume par le sigle CCM: Cœur, Cerveau, Main. Le cœur c’est la première étape qui touche à la mission et aux valeurs de l’entreprise. Les valeurs ne sont pas uniquement la propriété de l’entreprise ou de l’équipe de direction. Elles doivent être connues et comprises par l’ensemble des employé∙e∙s qui doivent se les approprier puis les appliquer dans leurs actions quotidiennes. On me demande souvent ce qu’est la culture d’entreprise? C’est la façon dont les gens travaillent quand le boss n’est pas là! Si les employé∙e∙s se donnent de la même façon, par passion et avec le même professionnalisme, les valeurs sont intégrées et la culture d’entreprise est en place. Ces valeurs doivent être assez fortes pour permettre le recrutement mais aussi le coaching à l’interne et même les congédiements de ceux et celles qui ne sont pas aligné∙e∙s sur celles-ci. Ce sont les filtres de la culture d’entreprise.
Quelles sont les nouvelles formes de recrutement et comment une entreprise peut s’adapter à ces nouvelles méthodes?
Fanny: L’une des nouveautés, comme on y touchait précédemment c’est de devoir montrer qui on est sur les réseaux, sur son site internet, de démontrer le savoir-être de l’entreprise.
Aujourd’hui, il n’est pas plus difficile de trouver des candidat∙e∙s, il est plus difficile de trouver une personne avec le bon fit : le bon fit avec le gestionnaire, avec l’équipe et avec les valeurs de mon entreprise pour éviter le clash. Mieux vaut ne pas sauter les étapes et prendre le temps de s’assurer de la concordance de valeurs avec le ou la candidat∙e, car sinon on prend un gros risque de devoir recommencer tout le processus par la suite.
Les employé∙e∙s potentiels vont regarder comment on vit à l’intérieur de son entreprise car qui se ressemble s’assemble. Et puis, il y a aussi le fait que les employé∙e∙s participent à cette visibilité et ont le pouvoir de contaminer positivement les recrues potentielles grâce aux sites d’avis comme Glassdoor. Ensuite, un enjeu est de travailler la constance. En résumé, on travaille maintenant plus vers le haut de l’entonnoir de recrutement. On peut donner un rôle plus actif aux ambassadeurs internes.
Stéphanie: sur les réseaux sociaux: plutôt que de mettre un affichage de poste, un collègue pourrait expliquer la job. On peut le faire avec un téléphone cellulaire. L’idée est que cela reste authentique, qu’on ressente le vécu. Attention, on ne devrait pas sentir qu’on oblige ses employé∙e∙s à le faire : et qu’ils sont heureux d’être des ambassadeur∙drice∙s pour l’entreprise, ils le font avec plaisir. Certain∙e∙s ont aussi une personnalité qui s’y prêtent plus. Quand on connaît bien ses gens, on trouve facilement les personnes qui accepteront de témoigner. Après, quand on voit que ça fonctionne, ça fait effet domino!
Qu’est-ce qui fait qu’une entreprise est vue et connue comme un bon employeur? Ou au contraire, qu’est-ce qui fait qu’une entreprise peut être vue et connue comme un mauvais employeur?
Steve: Pour faciliter le recrutement, rien de mieux que de créer de la connexion avec ses employé∙e∙s. J’ai un garçon de 18 ans qui est un peu mon projet de laboratoire. Avec lui, je découvre que la plus jeune génération en âge de travailler se déplace en troupeau. Elle est hyper connectée, collaborative et le bouche à oreille est super important. Ils se passent des tuyaux, s’informent mutuellement. Avec eux, impossible de faire l’impasse sur le fait d’avoir et de cultiver une personnalité attractive pour son entreprise. Les gestionnaires doivent apprendre à les connaître : leur nom, leur background, les projets qui pourraient les faire grandir.
Stéphanie : Une récente étude de Gallup révèle que l’une des principales raisons de quitter son emploi, avec le salaire sans surprise, est la relation avec son gestionnaire immédiat. « Les gens quittent un patron, pas une entreprise ». On comprend vite que le style de gestion est central dans la fidélisation de ses employés. On ne peut plus gérer à l’ancienne, en contrôlant la performance et en se contentant de donner des directions ou des ordres. Les employé∙e∙s s’attendent à ce qu’on les aident à faire grandir leur carrière.
Quelle posture les gestionnaires doivent-ils et elles prendre pour motiver les employé∙e∙s? Quels sont les trucs pour créer de l’engagement?
Stéphanie : Le salaire attire mais ne permet pas la rétention. Si je devais donner un top 5 de méthodes pour mobiliser à l’interne, ce serait :
- Donner du feed-back, régulièrement.
Ex : Organiser des rencontres one-on-one régulières avec ses employé∙e∙s.
- Montrer de l’appréciation de la contribution des membres de l’équipe en étant précis∙e, spécifique dans ces commentaires.
Ex : Ta présentation d’hier était vraiment claire, surtout la façon dont tu as parlé de […] Beau boulot!
- Communiquer clairement ses attentes, le résultat attendu puis laisser-aller en responsabilisant l’employé∙e.
Ex : on oublie le micromanagement
- Poser des questions… pour comprendre. Faire ressortir les difficultés et apporter les ressources et outils pour redresser la situation.
Ex : Où es-tu rendu∙e dans ce projet? As-tu besoin de support?
- Recadrer au besoin
Fanny : En chasse de tête, les premières questions que les candidat∙e∙s nous posent ne concernent pas les salaires. Ce qui les attirent aujourd’hui c’est :
- La flexibilité : quelle est la conciliation travail-vie de famille? Est-ce que je peux gérer mes horaires, soit avoir une horaire flexible? L’entreprise applique-t-elle le droit à la déconnexion ? Est-ce que je peux travailler 3 jours par semaine à la maison? Le sujet du télétravail est un enjeu majeur.
- Les journées de congés : est-ce que je peux les répartir régulièrement, dans le mois, au lieu de toutes les prendre en même temps? Est-ce que je peux autogérer ma productivité?
- L’ambiance avec l’équipe : ce que les gens appellent souvent la ‘’vibe’’ et qui est souvent le sujet de refus. C’est soit non, il n’y avait pas la vibe que je recherche ou, au contraire, oui je veux poursuivre le processus, j’ai eu une bonne vibe. ‘’
- Les avantages sociaux : ce qu’offre mon entreprise est-il adapté à mes équipes et à ce qu’elles recherchent?
Le one-size-fits-all ne fonctionne plus, surtout avec toutes les différentes générations. On doit s’adapter et personnaliser les avantages.
On parle de démontrer sa culture d’entreprise en organisant des activités pour les employés, mais cela peut devenir très prenant et difficile à gérer pour le gestionnaire.
Stéphanie: La quantité n’est pas la qualité! 5@7, déjeuner, muffins au bureau lunch &learn, team building, etc. Il faut en effet doser, la quantité n’est pas la qualité. D’ailleurs, quand cela revient trop régulièrement, les employé∙e∙s s’y attendent, ce genre d’activités ou d’événements d’équipe deviennent normaux et finissent par avoir moins d’impact. Comme dans un couple, il faut entretenir la flamme avec des moments qui prennent par surprise, qui ne sont pas nécessairement attendus, de façon ponctuelle. Ce qui doit se faire avec constance ce ne sont pas ces activités, ce sont les cinq méthodes dont on parlait précédemment, le feedback, les gestes d’appréciation… Les activités éphémères sont liées à la satisfaction mais pas au bien-être.
Steve: Oui, évitons la surdose! Ces activités ont leur place quand la culture d’entreprise va déjà bien. Elles servent à apprécier la connexion avec les employé∙e∙s et à les remercier pour leur implication.
En tant que salarié∙e, comment parler à son employeur∙se pour développer cette culture d’entreprise, notamment quand on est en virtuel ou dans un contexte décentralisé?
Steve: c’est le contact humain qui prime. Je devrais être capable de dire les grosses comme les petites affaires à mon ou à ma supérieur∙e. Les conversations avec son gestionnaire devraient être comme à Végas. « Ce qui se passe à Vegas, reste à Vegas ».
Les nouveaux gestionnaires doivent être capable de créer cette connexion. En virtuel, on peut recréer des moments « machine à café ». Pour garder ou créer le lien, il faut être créatif∙ve et sortir des sentiers battus. Si on est moins à l’aise, on s’aide du geek de l’équipe qui va trouver les meilleurs outils. Mais on garde en tête que chacun∙e est responsable de la culture. Les employé∙e∙s qui amènent les idées vont être les premier∙e∙s à s’impliquer. Elle n’appartient pas seulement aux gestionnaires et aux RH. Les employé∙e∙s sont co-propriétaires de la culture.
Stéphanie: J’ajouterai qu’on est tous responsables de nos propres besoins. Je dois aussi prendre la responsabilité de communiquer mes besoins et mes attentes à mon gestionnaire, avec précision et sans être dans le reproche. J’ai besoin de… J’aimerais que… Parce que…
Pour aller plus loin
Retrouvez ici un recueil de solutions RH à (re)penser pour contrer la pénurie de main-d’œuvre.